Alain Bernaud Biographie Bibliographie Extraits Divers Contact
Sur lʼarête des pierres
 Sur la côte À Skiveren le vent touche terre après des centaines, des milliers de kilomètres au-dessus de la mer Rien d’extraordinaire à cela c’est finalement le cas de bien des côtes de bien des rivages de cette terre L’Information couvre à la vitesse grand V les continents entiers mais ce n’est plus le vent qui la porte Trop d’injures à l’oiseau qui prend son envol sur la plage au plongeon des sternes dans la mer glacée à la marée qui vient trop de signes jetés à tort et à travers trop de mots faciles crachés à la face des éléments ont contraint le vent qui touche terre à Skiveren aux plus hautes sphères de l’air Où sont les passeurs d’outre - vent où souffle la parole plus qu’humaine ? Nous ne parlons de nous-mêmes qu’à nous-mêmes et ce que vent nous nommons n’est qu’haleine À Skiveren cependant ( est-ce une anomalie ou le signe d’une normalité révélée ? ) le vent frôle la terre : les herbes se courbent les pins frissonnent le lichen croît avec l’écume qu’il lui apporte Tout est à recommencer Une tâche grave est devant nous peu suffit pour que tout soit perdu À Skiveren où la terre s’offre au vent il faut faire vœu de silence pour une parole incertaine il faut écouter pour commencer à entendre Forçant toutes les barrières le vent est parmi nous en ces premières harmonies À Skiveren le vent touche terre
 Sur l’arête des pierres Dans la vallée désolée je me sens minuscule sous l’influence des cimes et du vent Dans le grand almanach poétique japonais chaque vent de saison a son nom et sa fonction : le «vent bleu du sud » est une brise d’été vigoureuse et pure qui se glisse dans les feuillages à l’époque de leurs premières couleurs Mais ce vent qui me vient du bout de la désolation n’a pas encore été nommé tant il diffère de ceux qui secouent les arbres de nos parcs urbains ou de ceux, délicieux que l’on goûte les soirs d’été ou encore de ceux, déjà lointains qui emportent les feuilles automnales Peut-être ce vent est-il la face occidentale de celui qui, venu du sud-est touche les côtes japonaises en juillet et que l’on nomme «vent des moineaux d’or » Ce vent, dit-on, ferait remonter à la surface les poissons du fond de l’océan et les méta mor pho serait en moineaux dorés… Mais ce vent-ci ne vient de nulle part il s’engendre lui-même dans l’instant s’interrompt repart dans un tourbillon glacial, inarticulé sans mélodie aucune sans rime ni refrain Peut-être est-il fait pour d’autres oreilles que les miennes comme celles du corbeau ou du lagopède et cependant quel fond plus sonore, quelle musique quelle langue plus lumineuse que ce vent effeuillant comme les pages d’un livre ces hautes crêtes d’ardoise Autant de vents, sans doute que de choses affleurantes à la surface de la terre... Le bruit du vent sur les lichens est inconnu des pierres nues le bruit du vent sur les pierres nues est unique pour chaque pierre